Qui a inventé la RSE et comment elle transforme l’entreprise

Oubliez la vieille rengaine du profit à tout prix : la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) n’a pas surgi d’un claquement de doigts dans un bureau feutré. Elle est née d’un bouillonnement d’idées et de mouvements, lorsque les années 1960 et 1970 ont vu émerger une conscience collective face aux enjeux sociaux et environnementaux. Howard R. Bowen, l’un des premiers à s’emparer du sujet, a bouleversé la donne en avançant que les entreprises avaient, au-delà de leur quête de rentabilité, un rôle à jouer pour le bien commun.

Les origines historiques de la RSE

Remontons aux prémices : en 1953, Howard Bowen publie Social Responsibilities of the Businessman. Cet ouvrage marque un tournant. Bowen ne se contente pas de dénoncer les excès ; il propose une nouvelle façon de concevoir l’entreprise, où la prise en compte des conséquences sociales et environnementales s’impose comme une évidence. L’impact d’une société ne se mesure plus seulement à ses profits, mais aussi à l’empreinte qu’elle laisse sur son environnement et sa communauté.

Les contributions de Howard Bowen

Pour illustrer la portée de Bowen, voici une étape marquante de son parcours :

  • 1953 : Publication de Social Responsibilities of the Businessman

Mais l’histoire n’est pas linéaire. À peine Bowen a-t-il posé les jalons d’une entreprise engagée qu’un autre économiste, Milton Friedman, s’invite dans le débat. En 1970, il signe The Social Responsibility of Business is to Increase its Profits. Sa thèse est radicale : toute autre ambition que celle de satisfaire les actionnaires n’est, selon lui, qu’une distraction, voire une dérive.

Les arguments de Milton Friedman

L’intervention de Friedman a marqué l’époque, comme en témoigne cette publication clé :

  • 1970 : Publication de The Social Responsibility of Business is to Increase its Profits

Oppositions franches, débats serrés : pendant des décennies, ces deux visions s’affrontent. Bowen milite pour une entreprise qui assume sa part de responsabilité, tandis que Friedman met en garde contre toute dérive morale éloignant du strict objectif de rentabilité. Avec l’accumulation des crises sociales et écologiques, le vent finit par tourner. La RSE s’impose progressivement, s’installant au cœur des stratégies d’entreprise, loin d’un simple argument d’image.

Les étapes clés de l’évolution de la RSE

Ce mouvement ne s’est pas fait en un jour. Plusieurs jalons majeurs ont façonné la trajectoire de la RSE. En 1987, le Rapport Brundtland introduit pour la première fois le concept de développement durable. Sous l’impulsion de Gro Harlem Brundtland, l’idée d’un équilibre entre croissance, inclusion et respect de la planète s’impose sur la scène internationale.

En 1992, le Sommet de la Terre de Rio de Janeiro marque une nouvelle étape. C’est là que le Protocole de Kyoto voit le jour, engageant les États à réduire les émissions de gaz à effet de serre. L’environnement devient un sujet de politique mondiale, et les entreprises sont invitées à s’aligner sur ces engagements.

En 2001, la Commission Européenne publie le Livre Vert, qui va servir de boussole aux entreprises du continent. Ce texte pose un cadre structurant pour que la RSE ne reste pas un vœu pieux, mais devienne une réalité concrète dans les stratégies d’entreprise.

Principales étapes

Pour mieux saisir cette succession d’avancées, quelques dates-clés méritent d’être rappelées :

  • 1987 : Publication du Rapport Brundtland
  • 1992 : Sommet de la Terre de Rio de Janeiro et adoption du Protocole de Kyoto
  • 2001 : Publication du Livre Vert de la Commission Européenne

En 2010, l’Organisation Internationale de Normalisation (ISO) publie la norme ISO 26000. Celle-ci offre aux entreprises une méthode pour structurer leur démarche RSE, balisant le chemin à suivre pour qui veut passer de l’intention à l’action.

En 2015, l’adoption des Objectifs de Développement Durable (ODD) par les Nations Unies donne une dimension globale à la RSE. Les entreprises sont désormais invitées à contribuer à la réalisation de 17 objectifs, du climat à l’égalité des genres, avec des échéances claires pour 2030.

En France, la Loi Grenelle I et II ainsi que la Loi PACTE de 2019 viennent renforcer l’arsenal réglementaire. La notion d’entreprise à mission fait son apparition, et le reporting extra-financier devient une pratique obligatoire pour de nombreuses structures. La RSE cesse d’être optionnelle.

L’impact de la RSE sur les entreprises modernes

Les entreprises n’ont plus le luxe de l’inaction. Depuis la Loi PACTE de 2019, celles qui souhaitent aller plus loin peuvent adopter le statut d’entreprise à mission. Cette démarche leur permet d’afficher, noir sur blanc, un engagement sociétal intégré à leur stratégie. Cette reconnaissance officielle contribue à renforcer la confiance des investisseurs, des clients et de l’ensemble des parties prenantes.

La Loi sur le devoir de vigilance de 2017 pousse encore plus loin l’exigence de transparence. Les grandes entreprises françaises doivent désormais cartographier les risques sociaux et environnementaux tout au long de leur chaîne de valeur. Cela implique une vigilance accrue sur les conditions de travail chez les fournisseurs, mais aussi une prise en compte des conséquences écologiques de leurs activités, y compris à l’autre bout du monde.

Les directives européennes ne sont pas en reste. Avec la Directive CSRD de 2022, le reporting extra-financier se trouve harmonisé à l’échelle du continent. Les performances sociales et environnementales deviennent comparables, ce qui encourage la montée en gamme des pratiques responsables. La Directive sur le devoir de vigilance (CSDDD), attendue pour 2024, élargira le champ des obligations à toutes les grandes entreprises européennes, créant un effet d’entraînement sur l’ensemble du marché.

Le management aussi se transforme. Les dirigeants intègrent désormais les Objectifs de Développement Durable (ODD) à leur feuille de route. Cette évolution va bien au-delà du simple affichage : elle structure la politique RH, les choix d’investissement et la relation avec les parties prenantes. Les entreprises qui réussissent à conjuguer performance économique et impact positif s’imposent comme des modèles à suivre.

responsabilité sociale

Les perspectives futures de la RSE

À l’horizon, la RSE continue de se réinventer. Les Objectifs de Développement Durable (ODD) servent de cap mondial. Les entreprises sont incitées à revoir leur modèle pour répondre à des attentes de plus en plus exigeantes, qu’il s’agisse de la lutte contre le changement climatique ou de la réduction des inégalités.

La transition écologique et solidaire s’impose comme un passage obligé. Les entreprises sont poussées à réduire leur empreinte carbone, à repenser leur chaîne de valeur et à adopter l’économie circulaire. Cette mutation ne se limite pas à des ajustements cosmétiques : elle implique souvent une refonte complète des stratégies de production, de distribution et de gestion des ressources.

Le Global Reporting Initiative (GRI) s’impose comme un standard incontournable pour mesurer et communiquer les performances extra-financières. Les entreprises devront s’y conformer pour garantir la transparence attendue par les investisseurs et le grand public.

Les évolutions réglementaires, comme la future Directive européenne sur le devoir de vigilance (CSDDD) prévue pour 2024, vont imposer des contrôles renforcés et une vigilance accrue. Les entreprises devront prouver par des faits, et non plus seulement par des engagements, qu’elles répondent aux exigences de la responsabilité sociétale.

Le mouvement est lancé, et il ne ralentira pas. La RSE, d’abord perçue comme une contrainte, s’affirme aujourd’hui comme une source d’innovation et de différenciation. Les entreprises qui sauront saisir cette dynamique pourraient bien façonner l’économie de demain. La question n’est plus de savoir si la RSE va transformer l’entreprise, mais jusqu’où elle la mènera.