L’article 16 en France ne requiert ni l’approbation du Parlement, ni celle du Conseil constitutionnel, conférant au Président un pouvoir de décision unilatéral en cas de crise grave. Cette disposition, rarement activée, bouleverse l’équilibre des institutions en suspendant temporairement plusieurs garde-fous démocratiques.Sa seule utilisation remonte à 1961, lors du putsch des généraux à Alger, révélant la portée concrète de ces prérogatives exceptionnelles. Les débats persistent sur son maintien, certains y voyant une nécessité face aux menaces extrêmes, d’autres dénonçant un risque de dérive autoritaire.
Plan de l'article
- Comprendre l’article 16 de la Constitution française : origine et portée
- Dans quelles circonstances le président peut-il activer ces pouvoirs exceptionnels ?
- Pouvoirs accordés et mécanismes de contrôle : un équilibre délicat
- Regards croisés : exemples historiques, débats et perspectives sur l’article 16
Comprendre l’article 16 de la Constitution française : origine et portée
Dans le paysage institutionnel français, un paradoxe se dresse : l’article 16 de la Constitution. Ce texte ne ressemble à aucun autre. Il place le président de la République au cœur d’un dispositif exceptionnel : lui seul, en cas d’effondrement institutionnel, peut prendre toutes les mesures qu’imposent les circonstances. Rédigé en 1958, au sortir d’une période d’instabilité, il accorde au chef de l’État des moyens hors normes si les institutions, l’intégrité du territoire ou les engagements internationaux sont menacés. Son ambition ? Sauvegarder le pays, quitte à écarter la séparation des pouvoirs.
Ceci dit, l’omnipotence présidentielle n’est pas totale. Même en pleine tempête, il n’est pas question de dissoudre l’Assemblée nationale, d’empêcher le Parlement de se rassembler ou d’amender la Constitution. Un filet, ténu mais réel, subsiste depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 : si l’article est activé, le Conseil constitutionnel doit être saisi au bout de trente jours, puis obligatoirement après soixante jours. Cette surveillance vise à tempérer les pouvoirs d’exception, tout en préservant la capacité de réaction rapide du président face à la crise.
Jean Gicquel, historien du droit, ne mâchait pas ses mots : l’article 16, selon lui, c’est « une dictature temporaire en période de nécessité ». Cette formule directe rappelle que le texte bouleverse l’équilibre institutionnel. Mais il ne s’agit jamais d’un blanc-seing ni d’un simple symbole. Même sous le régime de l’exception, les grands principes du droit public restent applicables.
Dans quelles circonstances le président peut-il activer ces pouvoirs exceptionnels ?
Le recours à l’article 16 ne s’improvise pas. Il n’est jamais question de le déclencher pour pallier un blocage politique ou une difficulté gouvernementale ordinaire. Avant d’en arriver là, deux conditions strictes s’imposent :
- Une menace grave et immédiate pèse sur la stabilité des institutions de la République, l’indépendance du pays, l’intégrité du territoire ou la tenue de ses engagements internationaux.
- Le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels se trouve interrompu ou rendu impossible.
Pas d’activation sur un simple soubresaut. Ici, l’État doit véritablement vaciller.
L’usage de ces pouvoirs est encadré par un protocole institutionnel : consultation obligatoire du Premier ministre, des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, et bien sûr, du Conseil constitutionnel. Ce passage par les plus hautes instances n’est pas accessoire, il symbolise la gravité de la démarche, bien que le président reste maître de sa décision. Pour marquer le caractère solennel de la situation, il doit ensuite s’adresser à la Nation et expliquer publiquement ses motivations.
L’histoire retient un seul cas : avril 1961, putsch d’Alger. Depuis, silence radio. Mais la simple mention de l’article 16 maintient la vigilance des juristes. Sa présence, même dormante, entretient une tension discrète entre l’État de droit et la possibilité d’y déroger en crise totale.
Pouvoirs accordés et mécanismes de contrôle : un équilibre délicat
Lorsque l’article 16 de la Constitution est invoqué, le président concentre temporairement des pouvoirs exceptionnels. Il peut édicter des mesures qui relèvent habituellement du Parlement. Mais ce pouvoir n’est pas illimité : il lui reste interdit de dissoudre l’Assemblée nationale, d’empêcher le Parlement de siéger ou de toucher au texte constitutionnel. Ce sont autant de barrières qui visent à prévenir le basculement dans l’arbitraire.
Les modalités de contrôle sont le fruit de plusieurs décennies de débats. Depuis le début, les juristes s’interrogent : comment contrôler la décision de déclenchement ? Le Conseil d’État se déclare incompétent pour juger de l’activation elle-même, c’est un acte de gouvernement qui échappe à son contrôle. Cependant, les mesures prises sous article 16 peuvent faire l’objet de recours devant les juridictions administratives. Ce point a été progressivement admis et renforcé par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 : passé trente jours, il est désormais possible de saisir le Conseil constitutionnel sur le maintien de ces pouvoirs ; et après soixante jours, cette évaluation se fait automatiquement.
Pour y voir plus clair, voici comment s’organise la surveillance institutionnelle :
- Conseil constitutionnel : il apprécie la durée et la cohérence des mesures adoptées pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels.
- Conseil d’État : seul le contenu des décisions réglementaires peut être remis en cause, pas le déclenchement en lui-même.
- Haute Cour : si le président commettait une violation manifeste de ses devoirs, la destitution resterait possible.
Même sous tension, la machine institutionnelle tente donc d’éviter que l’état d’exception ne devienne une habitude. L’État de droit n’est jamais totalement suspendu, même quand la séparation des pouvoirs est secouée.
Regards croisés : exemples historiques, débats et perspectives sur l’article 16
Une seule fois l’article 16 de la Constitution a-t-il été appliqué : sous Charles de Gaulle, en avril 1961, alors que le putsch des généraux éclatait à Alger, menaçant l’intégrité de la République. Face à cette crise majeure, l’exécutif s’est arrogé une palette élargie de pouvoirs, avec l’aval de la majorité de la classe politique et d’une opinion publique marquée par l’urgence. Cet épisode a laissé sa marque dans l’histoire de la Ve République : il incarne aussi bien la gravité de ces dispositions que la conscience de leur poids.
Activer l’article 16 revient à tirer la sonnette d’alarme ultime. À côté, d’autres instruments existent : l’état d’urgence donne davantage de prérogatives de police à l’exécutif, l’état de siège transfère même certains pouvoirs à l’armée. Mais l’article 16 instaure une véritable logique d’exception, conçue pour empêcher l’effondrement du régime républicain. Il ne s’agit pas d’un outil destiné à servir les controverses quotidiennes ou les calculs politiques.
En 2024, le spectre de l’article 16 a surgi dans le débat public. Dissolution de l’Assemblée nationale, crise politique persistante, instabilité gouvernementale… Certains invoquent la disposition, mais les constitutionnalistes sont formels : seule une menace directe sur la nation ou les institutions pourrait justifier un tel choix. Ces débats, même s’ils témoignent d’une inquiétude omniprésente, montrent aussi la prudence qui entoure le recours à cette arme ultime. La France, solidement installée dans la Ve République, garde toujours cette zone de tension, où vacillent stabilité démocratique et gestion de l’exception.


